Rock n' roll for ever

Certaines choses, on ne les oublie jamais. La première fois que j'ai écouté CHUCK BERRY... je m'en souviens comme si c'était hier. J'avais treize ans. J'avais acheté mon premier disque à l'Uniprix du coin (l'ancêtre de Monoprix, pour les plus jeunes). C'était une double complilation regroupant les principales stars du Rock N' Roll (BILL HALEY, JERRY LEE LEWIS, LITTLE RICHARD, BO DIDDLEY, etc...). La pochette représentait le drapeau américain avec des bandes rouges et blanches et les photos en forme d'étoiles de certains Rockers. Je m'étais empressé d'installer l'electrophone de mon père (à cette époque, pas de chaîne stéréo chez les pauvres) afin d'écouter l'objet de mes convoitises.

Les titres défilaient, magiques. BILL HALEY et son "Rock Around The Clock". JERRY LEE LEWIS martelant les touches de son piano. CHARLIE RICH et son "Big Man". BO DIDDLEY et son rythme incroyable. LITTLE RICHARD et ses hurlements sauvages. Le vieux JOHNNY CASH et sa voix si particulière (une sacrée découverte). Et puis, arrivé au premier morceau de la première face du deuxième disque (Ouf! C'est précis mais dur à digérer), la surprise! "Roll Over Beethoven de CHUCK BERRY avec son intro de guitare intemporelle, tranchante comme un rasoir mais légère comme un nuage. Un mélange de hargne contenue et de joie de vivre. Un cocktail de violence, de rage, d'insouciance et de liberté. L'essence même du Rock N' Roll! Je me rappelle avoir écouté ce morceau une bonne vingtaine de fois d'affilée.

Et quelque chose s'est produit. Un rouage s'est débloqué dans mon cerveau. Une petite voix venue du plus profond de mon être a sournoisement chuchoté: "Le voilà, ton truc! Ton truc, c'est le Rock N' Roll!" Une porte venait de s'ouvrir. Elle ne s'est jamais refermée.

Un concert de CHUCK BERRY, c'est comme un gigantesque juke box qui balance une succession de hits incontournables. CHUCK égrene ses succès d'un air malicieux devant un public ravi qui en redemande. La première fois que j'ai vu le père CHUCK, c'était le 7 juillet 1987 au Palais des Sports, à l'occasion de sa tournée célèbrant ses soixante ans. Il passait avant BB KING. On s'y était rendu avec mes amis Joël et Richard. Un grand concert dans la grande tradition du Rock N' Roll. En plus, CHUCK avait emmené avec lui son pianiste JOHNNIE JOHNSON qui, malgré son âge avancé, martelait toujours ses touches noires et blanches comme sur les vieux disques CHESS. La salle était électrisée, ralliée corps et âme à la cause de CHUCK "Crazy Legs" BERRY. Beaucoup de Rockers mais aussi un public plus hétéroclite (vieux, jeunes, noirs, blancs), preuve que CHUCK a toujours rassemblé beaucoup de monde autour de sa musique.

Nous avons eu droit à tous ses tubes, à la Duck Walk (la marche du canard, marque de fabrique de CHUCK), à des échanges de solos guitare/piano bien dans l'esprit des années cinquante. Je me souviens d'un petit gars qui ressemblait à Lucky Luke (le parfait Rocky: banane, gilet en cuir noir, énorme boucle de ceinture, chemise à carreaux, jeans et santiags noires) qui avait réussi à prendre CHUCK en photo. Notre vieux CHUCK a également fait monter quelques belles jeunes filles sur scène comme à la grande époque (il a toujours apprécié l'élément féminin). En bref, un bon concert avec une légende du Rock N' Roll Fifties. Par contre, je m'étais fait la remarque que CHUCK jouait quelquefois à la limite du faux.

Le deuxième concert de CHUCK BERRY auquel j'ai assité a eu lieu le 9 mars 1990 à Saint Denis, dans le cadre du festival Banlieues Bleues, sous une sorte de chapiteau. Avec mon pote Richard, nous nous sommes placés devant la scène et j'ai pu prendre des photos, dont pas mal de floues car ça secouait sec dans la fosse. Mais, bon... ça fait des souvenirs. Encore une fois, tous les tubes y sont passés. CHUCK a joué de la guitare à l'envers, a encore éxécuté sa Duck Walk et fait grimper de jeunes donzelles pour danser sur scène. Cependant, le groupe était encore un de ces bands de banlieue, engagé par l'organisateur selon la pratique de CHUCK BERRY qui ne se pointe qu'avec sa seule guitare juste quelques minutes avant le début du show. Tout le reste (matériel, amplis, musiciens, sono, etc...) étant à la charge du promoteur du concert. Pas de JOHNNIE JOHNSON, donc. Et puis, CHUCK a encore lâché quelques solos approximatifs mais, apparemment, il a toujours été coutumier du fait sur scène. Enfin, c'était quand même un bon concert bien Rock N' Roll.

La dernière fois que j'ai vu CHUCK BERRY, c'était le 10 janvier 2005 à l'Olympia. Là, le père CHUCK affichait 79 ans au compteur. Quelques souvenirs en vrac.

Un groupe américain de Blues Rock en première partie. Sympa mais pas grand chose à voir avec le thème de la soirée. 

La remise en place, par mes soins, d'un crétin qui ne semblait pas savoir tenir debout et qui confondait ses proches voisins avec des accoudoirs; il n'a pas été déçu du voyage.

La surprise d'un mec, juste à côté de moi, qui s'aperçoit de la présence de NONO (le gratteux de TRUST) au balcon gauche surplombant la scène. Le gars s'égosille à tout casser ("Nono! Nono!"), essayant d'attirer l'attention du guitariste. Mais ce dernier restera de marbre, ne daignant même pas honorer l'un de ses fans d'un geste de la main. Il se barrera d'ailleurs deux morceaux avant la fin, sans doute afin d'éviter le contact avec d'éventuels admirateurs dont le seul tort ait été d'acheter les disques sur lesquels il jouait. Quelle connerie!!!

CHUCK s'est pointé sur scène avec une chemise à paillettes, une casquette de marin, sa Gibson rouge et encore un backing group de location. Il nous a balancé encore une fois ses succès, imparables, intemporels. Et puis, après une demi-heure de show, sa gratte a commencé à faire des siennes. Même un monsieur d'âge respectable peut venir à bout d'une guitare demi-caisse en la secouant comme un prunier. Plus de son. Puis, un ronflement disgrâcieux s'est échappé de son ampli. Situé à deux rangs de la scène, je gueule "Change your jack, Chuck!" ("Changes ton cordon, Chuck!"). Le grand CHUCK me répond avec un air amusé et un sourire entendu: "I don't even got one, brother!" ("Je n'en ai même pas un, mon frère!"). Whah! J'ai entretenu une courte discussion avec mon idole à l'Olympia. Ce qui nous renseigne également sur le comportement de l'artiste. Pas même un jack de remplacement. Emporte-t'il seulement un jeu de cordes de rechange?

Le problème semblant résolu, le show a redémarré quelques instants puis le groupe, la salle et enfin CHUCK lui-même, tout le monde s'est aperçu que sa guitare était complètement désaccordée. Et là, à ma grande surprise, CHUCK n'a rien fait.  Le bassiste du groupe de première partie lui a pris sa gratte pour la réaccorder. Pendant ce temps, CHUCK ne s'est pas démonté. Il s'est emparé de la basse et a joué quelques notes pour "combler l'attente"; comme il l'a dit lui-même: "That's why I'm goofin' around!" ("C'est pour ça que je déconne!"). CHUCK nous a aussi annoncé qu'il était désolé de ce contre-temps et que, puisque l'on avait perdu quinze minutes de concert, il nous en donnerait une vingtaine de plus et qu'il recommencerait son show du début. Gentil, mais complètement faux. CHUCK a repris son set pour s'arrêter une trentaine de minutes après. Il a quand même esquissé une Duck Walk, ce qui a déclenché un léger mouvement de foule dans les premiers rangs. Bon, à son âge, on ne pouvait pas espérer des miracles. Je me souviens d'un mec barbu aux longs cheveux noirs coiffés en banane qui discutait avec ses potes. Apparemment, il avait des échos d'un concert  précèdent (Tours ou Orléans) qui s'était déroulé plus ou moins de la même façon. Bon, on n'était pas les seuls. Mais moins d'une heure effective de show, ça fait cher les vingt secondes.

Pourtant, CHUCK BERRY restera toujours mon héros. Pour moi, c'est lui le vrai KING OF ROCK N' ROLL!!!

Pour sa musique et son talent (auteur, compositeur, chanteur, guitariste, showman). Et aussi pour la façon qu'il a de mettre un doigt dans le cul du système, en douceur et avec le sourire, gentiment mais fermement. Rebelle et séducteur. La grande classe!

Bien sûr, on pourra toujours avancer de nombreuses réserves à son sujet.

Sa radinerie légendaire, son amour immodéré des dollars (avant le début d'un concert, il demande toujours une rallonge au cas où cela marcherait).

Ses nombreux démêlés avec la justice au cours des decennies: braquage à l'adolescence, plusieurs affaires de fraude fiscale et de moeurs (la dernière en date, sa condamnation pour avoir installé des caméras dans les toilettes pour dames de son restaurant), ses séjours en prison.

Son infidélité (sa femme a porté une sacrée paire de cornes depuis leur lune de miel).

Son caractère de cochon (KEITH RICHARDS se souvient encore de son punch).

Les titres qu'il aurait piqué à son pianiste JOHNNIE JOHNSON (ils étaient d'ailleurs en procès à ce sujet mais le pianiste a rendu l'âme avant le guitariste, ce qui classe l'affaire).

Mais, malgré tout ça, il restera une influence majeure pour de nombreux artistes, reconnus aujourd'hui, qui ont tous joué des morceaux de CHUCK BERRY à leurs débuts.

Sans CHUCK BERRY, pas de BEATLES ou de ROLLING STONES. Pas de JIMI HENDRIX. Pas de DAVE EDMUNDS, de STATUS QUO ou de BRUCE SPRINGSTEEN. Tous lui ont payé leur tribut et lui ont rendu hommage.

Et pour moi, il restera toujours la référence ultime en matière de Rock N' Roll!

D'ailleurs, en 1977, son tube "Johnny B. Goode" a été gravé sur le fameux "disque d'or" embarqué à bord de Voyager I (une sonde envoyée se perdre aux confins de l'univers et contenant des informations sur les principales inventions et réalisations artistiques humaines, à l'attention d'éventuelles intelligences extra-terrestres).

Ainsi, dans le vide inter-sidéral, CHUCK BERRY côtoiera BEETHOVEN pour l'éternité.

Pas mal pour un petit noir du Missouri!!!